Thématiques pour mieux comprendre l'errance du système judiciaire haïtien. Un courrier adressé à M. Duval du Nouvelliste par Erno Renoncourt

Publié par Erno Renoncourt sur 16 Novembre 2020, 22:47pm

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Thématiques pour mieux comprendre l'errance du système judiciaire haïtien. Un courrier adressé à M. Duval du Nouvelliste par Erno Renoncourt

Monsieur le rédacteur en chef du Nouvelliste,

Après avoir lu l’article de votre collaborateur Pharès Jérôme, ici en copie, sur l’infantilisation de la justice haïtienne, ma conscience citoyenne s’est enflammée pour le sujet. Et pour cause, car depuis 2012, j’essaie, sans grand succès, d’alerter et d’aiguiller la curiosité des médias haïtiens sur l’imposture des activités de renforcement du système judiciaire haïtien mises en place par la communauté internationale. Finalement, je me suis résigné à comprendre que les sujets techniques à thématiques structurantes pour la stratégie de la gouvernance nationale n’intéressent pas les médias haitiens quand ils sont traités par ceux qui n’ont pas les accointances diplomatiques et politiques garantissant les biais par la langue de bois du « politiquement crapule » ou du « militantisme subventionné ».

Si vous remontez dans vos archives, vous retrouverez des traces de mes articles sur la justice pénale remontant à 2007. En effet, j’ai proposé divers articles dans lesquels je me suis méthodiquement acharné à prouver que la détention préventive était un business lucratif pour tous les acteurs et intervenants du système judiciaire. Mais cela n’a pas retenu l’attention des médias qui préfèrent des sujets plus insignifiants. Vous devez bien vous rappeler que je vous avais déjà interpellé en 2015 pour mon article sur la détention préventive que vous avez délaissé pour donner de la voix au ministre de la justice d’alors qui divaguait sur ls progrès du système judiciaire.. En 2012, j’avais voulu donner la preuve à un autre de vos collaborateurs ( Roberson Alphonse, aussi en copie) pour lui montrer que derrière les cérémonies de lancement des nouveaux systèmes (à l’époque le système AFIS pour le pénitentiaire,) commémorant l’innovation pour le système judiciaire, il n’y avait que du vent. Il n’avait pas jugé le sujet suffisamment important pour y prêter attention. Et puis, en 2014, après l’évasion de plus de 300 détenus à la prison de la Croix des Bouquets, inaugurée en 2012 comme bijou technologique, c’est lui qui nous sort un superbe article pour rappeler qu’en Haïti, « dans les prisons, la technologie dort dans les boîtes ».

Je reviens sur cet épisode, non par provocation, mais parce que j’ai le sentiment d’être un citoyen perpétuellement désabusé par le traitement approximatif que font les médias haïtiens des grands sujets nationaux. Ceux qui ont la chance et le bonheur de lire des médias étrangers comme Médiapart et Le Monde Diplomatique, pour ne citer que ces deux, avec toute réserve autorisée, comprennent que le journalisme n’existe pas en Haïti. Il n’y a que des gens relayant les informations. Vous en voulez une preuve ? Je vous en mets une, et bien claquante (ne pensez surtout pas à la claque) !

En octobre 2015, le Nouvelliste et d’autres médias, célèbrent, avec les acteurs et intervenants du système judiciaire, le lancement d’un système de gestion des cas (dossiers) judiciaires (GICAJ) comme la plus grande innovation technologique pour le judiciaire haïtien :
https://lenouvelliste.com/article/150583/lancement-officiel-du-systeme-de-gestion-informatise-des-cas-judiciaires-gicaj
https://www.haitilibre.com/article-15329-haiti-justice-une-innovation-sans-precedent-dans-les-annales-de-la-justice-haitienne.html

En septembre 2020, Le Nouvelliste et les mêmes médias célèbrent, de nouveau, avec les mêmes acteurs le même système GICAJ comme une innovation extra technologique pour le judiciaire haïtien
https://lenouvelliste.com/article/221277/le-systeme-de-gestion-informatisee-des-cas-judiciaires-gicaj-desormais-disponible-dans-11-juridictions-du-pays
http://www.lenational.org/post_free.php?elif=1_CONTENUE/actualitees&rebmun=7101

Or, en octobre 2020, ce sont les mêmes médias qui dénoncent la persistance (depuis 30 ans au moins) des vols et des disparitions des pièces à conviction dans les tribunaux haïtiens
https://lenouvelliste.com/article/222390/affaire-monferrier-dorval-vol-de-pieces-a-conviction-au-tribunal
http://www.hpnhaiti.com/nouvelles/index.php/politique/36-space/8411-haiti-justice-vol-au-greffe-du-tpi-de-port-au-prince-la-structure-nou-se-dorval-exige-une-enquete

Mais voilà qu’un mois après ces incidents, aucun des médias haïtiens n’a osé questionné l’évidence : Comment peut-on lancer, en 5 ans, deux séries d’innovation technologique sur un même système d’information assurant la gestion des dossiers judicaires sans sécuriser les lieux d’archivage des dossiers ? Sans garantir l’inaltérabilité des dossiers ?

Voilà les raisons qui enflamment ma conscience et me poussent à faire ce message pour vous envoyer la première partie (en pièces jointes) d’une thématique en 3 actes sur l’effondrement programmé de l’écosystème judicaire haïtien. Je cherche ainsi à atteindre, à travers vous, les autres médias ( j’en ai mis quelques-uns en copie) pour exiger de leur part un peu plus de professionnalisme et de respect pour le peuple haïtien. Merci de noter que le contenu de ce message est inclus dans la seconde partie de mon argumentaire pour montrer la perversion des médias dans l’abrutissement de la conscience collective. Cette précaution est nécessaire pour que vous ne croyez pas à une démarche dirigée contre vous et contre le Nouvelliste.

Je crois que professionnellement, pour avoir travaillé sur ces dossiers pendant plus de 15 ans auprès des agences internationales et pour avoir accepté de sacrifier ma carrière, par mon intégrité et mon entêtement à exiger de la part des donneurs d’ordre internationaux, dans le cadre de mes activités, des outils de qualité pour le institutions de mon pays, alors que j’aurais pu la mener tranquillement comme d’autres tout en criant dans la plus grande imposture « à bas les politiciens », je peux m’arroger l’insolence de rappeler que l’opinion publique d’un pays est fonction de la qualité de ses médias, comme les institutions reflètent l’intégrité et la dignité de ceux et celles qui ont le savoir.

Juste une façon d’apporter ma contribution citoyenne et professionnelle au débat démocratique qui est, rappelons essentiellement, contradictoire. Sachant que les médias haïtiens peuvent se trouver, pour des raisons diverses, dans l’incapacité de reprendre ces thématiques techniques et courageuses, je me suis permis de les partager sur d’autres plateformes :

https://blogs.mediapart.fr/erno-renoncourt/blog/161120/linnovation-judiciaire-invariante-ou-le-management-de-la-defaillance-partie-1

Le but est de montrer que les acteurs qui dénoncent les dysfonctionnements de la justice haïtienne sont ceux qui vivent et qui profitent de ces dysfonctionnements. Pardonnez encore une fois mon insolence, elle me vient de mon incapacité à être dans le flou et dans l’indifférence ; car avec Gramsci, je pense que « Vivre, c'est choisir, prendre parti, discriminer, s'engager sans retour….. ». Ce sont les citoyens compétents et éthiques qui font vivre la démocratie…….Le drame haïtien est que nous aimons l’argent du Blanc, nous voulons tous vivre de l’argent du Blanc et nous voulons qu’il nous respecte.

Bonne lecture et à bientôt pour les deux autres parties.

Respectueusement