Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


À Miragoâne une province du sud d’Haïti : Un hôpital dans la tourmente

Publié par Elsie HAAS sur 27 Mars 2010, 10:32am

Catégories : #AYITI SEISME



L’un des objectifs de la conférence internationale des villes et régions du monde pour Haïti organisée hier à Fort-de-France (Martinique) est d’aider au renforcement de la décentralisation afin d’encourager un développement plus équilibré entre la capitale et les autres villes. C’est aussi la conclusion que tire de son expérience pendant le séisme, le Dr Jacques Laroche, directeur de l’hôpital Sainte-Thérèse de Miragoâne. La suite de notre reportage en Haïti (voir « le Quotidien » d’hier).

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

« CE N’EST PAS une structure hospitalière, c’est un gros dispensaire. » Le jugement du Dr Yves Chouteau est définitif. Chirurgien orthopédiste, il fait partie de la mission organisée par l’association GAMAH (Groupe d’appui médical à Haïti) venue soutenir les équipes de l’hôpital Sainte-Thérèse de Miragoâne. Le manque de matériel est criant : « Il n’y a pas de matériel d’orthopédie. Même le matériel ancillaire manque, pas de moteur chirurgical, pas d’écarteur », déplore-t-il. Le directeur, Dr Jacques Laroche, le reconnaît, « la structure est totalement dépassée ». Trop petit, des salles vétustes, l’établissement, construit dans les années 1980, ne répond pas aux normes internationales. Il est pourtant l’hôpital de référence du département des Nippes, le seul à disposer d’un bloc opératoire. D’une capacité de 40 lits, il a vite été saturé au moment du séisme.
Le Dr Youdelandi Aris, 27 ans, était sur place ce jour-là. Jeune diplômée, elle a fait ses études à l’université catholique de Notre-Dame, une institution privée de Port-au-Prince avec laquelle elle a pu faire deux stages, en 5e et en 6e années, dans un service d’urgence, en France (un mois à hôpital d’Amiens) et en Belgique. Depuis le 6 janvier, elle effectue, comme tous les étudiants en médecine de l’île, son service social d’une année, à l’hôpital Sainte-Thérèse.

Afflux de victimes.


« J’étais à la maternité quand cela a commencé à secouer très fort », raconte-t-elle. Très vite, cela a été le chaos. « Les blessés venaient de partout, fractures ouvertes, blessures de la tête, des membres ou du thorax, hémorragies... » Chef de la clinique externe, le Dr Pierre-Louis Dimy, 33 ans, est arrivé une trentaine de minutes après la première secousse. « Je suivais une formation en nutrition à une quinzaine de kilomètres d’ici. Nous sommes tous sortis pour nous réfugier sous un préau. J’ai pu appeler une ambulance pour me rendre à l’hôpital », explique-t-il. Il y découvre la cour « pleine de blessés, les cris étaient terribles ».
Quelques bâtiments sont endommagés, peu sont totalement effondrés. Mais à l’hôpital, la foule des blessés se fait de plus en plus dense : « Nous avons vite été débordés, raconte le directeur. Ni la structure ni le personnel n’étaient préparés à une telle affluence. Heureusement ceux qui n’étaient plus sur place sont revenus prêter main-forte. ». Dans les heures qui suivent, les répliques sont nombreuses. Lapopulation, affolée, vient se réfugier à l’hôpital. De plus en plus de blessés y sont amenés. « Le bruit a vite couru que l’on soignait à Sainte-Thérèse », se rappelle le Dr Aris.
Alors, dit-elle, « nous nous sommes débrouillés.Au bout de quelque temps nous n’avions plus de fil pour les sutures. » Pendant deux, trois jours, la panique est réelle. Certains, parmi les membres du personnel, ont de la famille dans les régions touchées et sont sans nouvelles. Ils sont partagés entre le désir de porter secours et celui d’aider les leurs. Le Dr Aris finit par craquer. Au troisième jour, elle décide de partir pour Port-au-Prince. « Là, j’ai vraiment réalisé l’ampleur de la catastrophe. Je ne reconnaissais plus rien. » Heureusement sa mère et ses sœurs sont sauves. Quelques-uns de ses collègues apprendront plus tard le décès d’un ou de plusieurs des leurs. Vingt-quatre heures plus tard, le Dr Aris sera de nouveau à son poste.

Un choix difficile.

Le Dr Laroche, lui, est seul. Son père, sa mère, ses sœurs et ses frères sont partis vivre à New York. Sa femme et sa fille les y ont rejoints, trois mois avant le séisme. C’est par Internet qu’il s’informe et se fait une idée plus précise des dégâts. Miragoâne est isolée. « Le directeur sanitaire du département était à Port-au-Prince. Nous ne pouvions pas le joindre. Nous avons fait le mieux que nous pouvions avec ce dont nous disposions », insiste-t-il. Les premiers jours, seule une prise en charge conservatoire des blessés sera possible. « Une seule salle d’opération était fonctionnelle mais elle était réservée aux césariennes. Du fait de l’indisponibilité des autres structures de la région, les femmes venaient accoucher ici. Je ne pouvais pas prendre la décision de faire opérer dans le seul bloc disponible, en raison du risque infectieux. Imaginez, je suis médecin et chirurgien et je fais le choix de ne pas opérer », se désole-t-il. Les malades les plus graves, parmi lesquelles figurent des amputés traumatiques – l’équipe garde encore l’image d’enfants à qui il manquait un pied ou un bras –, sont transférés vers les structures du sud, à l’hôpital départemental des Cayes. « Nous nous sommes rendu compte qu’eux aussi étaient débordés et qu’ils n’avaient pas la capacité de prendre en charge nos blessés », explique-t-il. La décision est prise de ne plus transférer, surtout que les blessés arrivent désormais de Port-au-Prince, de Petit-Goâve, de Grand-Goâve ou de Léogâne.
Le Dr Laroche fait alors appel à un chirurgien de Miragoâne. « Nous avons pu ouvrir le second bloc opératoire », se réjouit-il encore aujourd’hui. Les premiers secours arrivent de Cuba, avec qui l’hôpital collabore depuis une dizaine d’années. Une nouvelle brigade médicale vient renforcer l’équipe de médecins cubains déjà à pied d’œuvre. À partir du 23 janvier et pendant trois semaines, une équipe américaine va également opérer avec son propre matériel. Les 40 lits de l’hôpital ne suffisent pas.
Le directeur-chirurgien poursuit son récit : « Certains jours, nous avons eu plus de 100 hospitalisés. Nous les mettions à même le sol, sur des civières, sur des matelas amenés par la famille, sur des bancs que nous assemblions pour fabriquer un lit. » Une tente installée aux abords de l’hôpital permet d’augmenter les capacités d’hospitalisation.Pendant 30 jours, les génératrices vont fonctionner 24 heures/24, il n’y avait pas d’électricité dans la ville. Les 1 500 galons de Diesel fournis par l’OMS ont été les bienvenus.

Leçons d’une catastrophe.

Depuis le séisme, plus de 500 victimes, directes ou indirectes, auront été prises en charge à l’hôpital de Sainte-Thérèse et 125 interventions chirurgicales auront été effectuées. Le Dr Laroche souhaite que des leçons soient tirées de ce qui s’est passé. « J’ai moi-même sous-évalué la capacité de l’hôpital et de son personnel à répondre à pareille situation. Aujourd’hui, nous sommes plus motivés qu’avant et nous avons pu regagner la confiance du public. Nous ne devrions pas perdre l’occasion qui nous est offerte de faire réellement de cet hôpital une institution de référence. » Le soutien de l’association GAMAH revêt un sens particulier. « La période de l’urgence est passée. Nous avons eu le temps de réfléchir à ce que nous voulions, dit le directeur. La mission s’inscrit dans le moyen terme, dans la continuité des discussions que nous avions eu avant le séisme. Ce n’est pas notre première collaboration. J’espère qu’elle m’aidera à renforcer la structure et à mieux l’organiser. »
L’idéal, cependant, « serait qu’un autre hôpital soit construit dans le département ». Dans la perspective de la Conférence internationale pour la reconstruction et le développement, prévue le 31 mars à New York, il préfère, comme beaucoup d’autres, parler de construction : « Je pense que la solution n’est pas de reconstruire comme avant, même avec une autre stratégie, même avec des normes parasismiques. Le département de l’Ouest (où se trouve Port-au-Prince) fait partie des 10 départements du pays, un tiers de ce département a été touché par le séisme et c’est tout le pays qui est malade. Ce n’est pas normal. Il faut revoir la façon dont le système fonctionne. Il faut déconcentrer et décentraliser ». Son avenir immédiat, il l’imagine encore à Miragoâne.

Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Le Quotidien du Médecin du : 24/03/2010

Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents